Le Théâtre de Saint-Pierre et les débuts de l’art lyrique à la Martinique


L’histoire des familles ACHILLE et NARDAL est étroitement liée à celle de la ville de Saint-Pierre avant la catastrophe de 1902.
Louis ACHILLE, le père de Louis-Thomas ACHILLE (co-fondateur de la REVUE DU MONDE NOIR) et oncle de Paulette NARDAL y a fait sa scolarité tout comme Paul NARDAL, le père de Paulette.
Paul NARDAL, en particulier, suivait assidûment les représentations du théâtre avec un goût prononcé pour l’opéra.
Christiane EDA-PIERRE, sa célèbre petite-fille et nièce de Paulette, qui fut la première cantatrice noire de France, dira que c’est lui qui lui donnera l’amour de l’opéra.
L’histoire du Théâtre de Saint-Pierre est celle de la splendeur de ville mais, au-delà, celle de la Martinique à cette époque.

L’art lyrique apparaît à la Martinique avec le Théâtre de Saint-Pierre à la fin du 18ème siècle.


La ville de Saint-Pierre est alors l’une des premières places commerçantes de la région au point d’être surnommée la capitale des Petites Antilles.
Au pied de la Montagne Pelée qui surplombe la ville, les riches demeures s’élèvent parfois sur trois étages, les rues sont bien dessinées, les édifices publics sont majestueux, les fontaines agréables et les jardins somptueux invitent à la promenade.
Tout traduit la richesse de la ville et la nouvelle fortune de ses habitants.
Saint-Pierre, se met alors à la recherche de nouveaux plaisirs et le théâtre apparaît très vite comme l’une des distractions les plus prisées de ses habitants.
L’engouement est tel que la décision de construire un théâtre est prise ; il sera financé par un groupe de riches commerçants de Saint-Pierre.

L’inauguration solennelle du très bel édifice, construit sur le modèle de celui de Bordeaux, a lieu le 16 décembre 1786 avec à l’affiche deux pièces, Le Pouvoir du Zèle et le Jugement de Midas.
La description qu’en fait Maurice NICOLAS, écrivain martiniquais, dans son livre très documenté évoque « devant le portail, une vaste place où s’arrêtent les porteurs de litières, puis une grande cour ; un escalier monumental donne accès à l’entrée. La salle a quatre rangs de loges ; le premier rang donne sur une galerie.
En attendant le lever de rideau et aux entr’actes, les spectateurs y prennent le frais tout en devisant.
Le quatrième rang c’est le Paradis. Il est réservé exclusivement aux gens de couleur et aux esclaves. Car il faut dire que ces derniers comptent parmi les plus assidus au spectacle.
La scène est spacieuse, les murs sont artistement décorés ; des candélabres et des lustres imposants illuminent la salle ».

 

Il poursuit par la description que donne un médecin danois de passage à Saint-Pierre, après avoir assisté à la représentation d’Orphée et Eurydice, sur « le magnifique théâtre qui surpasse pour la grandeur et le goût les bâtiments en ce genre les plus renommés en Europe ».
Les décors du théâtre ont été réalisés par des décorateurs de renom tel M. CHAPUIS de l’Opéra de Paris et comportent des ornements luxueux, des tableaux réalisés à Paris ou par des artistes locaux, tels que M. OSENAT, professeur de dessin à Saint-Pierre.
On doit à Monsieur Martial BAZABAS, professeur au Campus Caribéen des Arts, la reconstitution en 3 D du théâtre réalisée à partir des plans retrouvés aux Archives d’Outre-Mer à Aix en Provence.
Toute la bonne société se presse au Théâtre de Saint-Pierre avec ses plus belles parures et toilettes, les femmes rivalisent d’élégance et de frivolités.
Les troupes arrivent de France et d’Europe ; elles passent en effet par Saint-Pierre pour aller ensuite se produire aux Etats-Unis, à la Nouvelle-Orléans, au Venezuela, à Saint-Domingue ou encore dans les îles anglophones voisines.
Pour certaines représentations, la troupe était complétée par des artistes locaux, chanteurs, musiciens, danseurs et figurants qui pouvaient être de couleur.
1 « Les grandes heures du Théâtre de Saint-Pierre », Maurice NICOLAS,
Il arrivait parfois que des colons « prêtent » des esclaves pour les danses et la figuration.

Le public du théâtre était fait de connaisseurs, que ce soit dans la haute société pierrotine ou chez les gens de couleurs, libres et esclaves, qui pouvaient également assister à des représentations.
C’était, là aussi, la force du Théâtre de Saint-Pierre qui n’était pas seulement un bel édifice architectural, ni un simple lieu de culture ; c’était plus que cela, un lieu de rencontre improbable entre toutes les catégories de la population.
Et les airs les plus célèbres de la Traviata, du Trouvere, de Lucie de Lammermoor... étaient repris par le petit peuple, capable de les chanter dans leur intégralité.
Certains de ces airs ont même été intégrés à notre musique traditionnelle et se sont fait biguines, valses créoles et mazurkas.

 
 

Parmi les plus célèbres artistes qui se produisent au Théâtre de Saint-Pierre, le Ténor RENAULT-RAYNAL de l’Opéra de Paris.

Le Théâtre a subi plusieurs fois les dégradations liées aux cyclones et aux tremblements de terre, il a parfois été fermé plusieurs années de suite et, à chaque fois, il a été reconstruit avec ses fastes et son luxe.
Véritable lieu de culture, le Théâtre de Saint-Pierre était également utilisé pour les rassemblements politiques, les manifestations officielles telles que l’hommage à Victor Schœlcher, des conférences mais aussi le célèbre Carnaval de Saint-Pierre.
On y installait alors une salle de bal où les soirées étaient très courues, certains auteurs de l’époque expliquant, en outre, que les loges servaient parfois de dortoirs à l’ombre desquels cédèrent nombre de vertus....
8 mai 1902 : le Théâtre de Saint-Pierre est détruit dans l’éruption de la Montagne Pelée .... Mais l’art lyrique ne disparaît pas pour autant de la Martinique.
Images du Théâtre Saint-Pierre.

 

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© Catherine MARCELINE,
Avocate, auteure et conférencière, membre du Club Soroptimist de Fort de France Alizés-Sud.